vendredi 16 mars 2012

Le drame de Vernon (Vienne) - 1896


Aujourd'hui c'est Sébastien Pissard, passionné de Généalogie Poitevine qui nous raconte une petite affaire criminelle. Se prendra-t-il au jeu du blog ? J'espère et je compte sur vos encouragements ! 
Mise à jour matutinale, le blog est en ligne : La Pissarderie. Un peu de généalogie, sur des Pissard du Poitou et d'ailleurs, des fragments du Civraisien et de Savigné...

François Audé est né le 8 avril 1856 à Saint-Romain, fils de Louis Audé, cultivateur, et de Marie-Anne Lhérault.
Il est inscrit au registre matricule de l’année 1876, n°816. A 21 ans, il part pour le 82e régiment d’infanterie, puis est incorporé en 1878 au régiment des sapeurs-pompiers de Paris, jusqu’à la fin de l’année 1881. Son passage à Paris se fera remarquer : 18 jours de consigne, 25 jours de salle de police et 8 jours de prison. Libéré de l’armée, après quelques services chez divers agriculteurs, il est nommé facteur rural à Ceaux-en-Loudun.
C’est à cette période qu’il épouse Alexandrine Laurent, à Saint-Maurice-la-Clouère. A cause de sa mauvaise tenue et pour des suppressions de correspondance, il sera renvoyé au bout de deux ans. Il exerce comme domestique chez divers maîtres et se fixe à Saint-Maurice, chez son beau-frère, pendant 2 ans, puis s’installe à Saint-Laurent de Jourdes en 1891. Il est sans ressources. Pour faire vivre sa famille de plus en plus nombreuse (6 enfants nés entre 1883 à 1894), il s’adonne au braconnage, ce qui lui permet un certain confort. Sa mauvaise réputation le pousse enfin à se loger au village de La Plaine, sur la commune de Dienné dès octobre 1895. A ce moment-là, Audé s’absente régulièrement les nuits, revenant avec volailles des basses-cours voisines. Violent avec sa femme, il est notoirement alcoolique. Il est même condamné, le 3 décembre 1895, à 50 francs d’amende pour vol au tribunal de Montmorillon.

En 1896, sa situation devenait de plus en plus précaire. Le dernier argent touché datant du 23 février (le sieur Chebassier lui dût 11 francs), il devait encore payer son boulanger, qui refusait tout crédit. Le 7 mars, Audé se rend à Poitiers pour vendre son vieux fusil, mais personne n’en veut à cause de son mauvais état.
Le 14 mars, Audé est de nouveau en route vers Poitiers, et croise le sieur Thimonier sur la place du Marché. Il lui raconte qu’il a vendu son fusil le 7 dernier, et qu’il est parti en faire la livraison. A une heure, il est vu dans la cour de l’auberge Clercy. C’est là que le vieux père Dupont, 89 ans, a l’habitude de venir. Le père Dupont, malgré son âge, accomplit avec vigueur son travail de messager à Chiré. A trois heures, Audé rentre vers Dienné, non pas en empruntant le chemin direct qui le ramènerait chez lui, mais en suivant le père Dupont, sur un chemin vicinal de Poitiers à Vernon. Les passages tantôt du vieux messager, tantôt d’Audé, sont remarqués par de nombreux témoins (la femme Chartier, les sieurs Martin, Durandeau, Guérin, Morin Deniort, Dardenne et Gatellier). Deniort, par exemple, l’aperçoit sortant d’un fourré à hauteur du pont de la voie ferrée Poitiers-Limoges. La femme Petit, habitant Availles, voit passer Audé à six heures, puis on perd sa trace. Voulant éviter Nieuil-l’Espoir où il est trop connu, Audé coupe à travers bois et champs, puis s’arrête en face des bois dits « Bois aux Roux », à trois kilomètres de Nieuil et à 2 kilomètres de Vernon. Il bourre son fusil avec des pages prises dans un livre de sa fille (méthode de lecture).
Le père Dupont est passé à Availles à 7h15. Son âne est lent, et il arrive vers 9 heures où l’attend Audé. Le fermier Berthonnaud, habitant à la Braudière, entend un coup de feu, accompagné par les chiens de la ferme de Mineret.
Le coup de feu atteint le père Dupont à l’œil gauche mais ne le tue pas. Audé s’acharne sur sa victime avec la crosse du fusil, si violemment que l’arme se désintégra (on en retrouva des morceaux éparpillés sur toute la route). Enfin, son forfait accompli et le père Dupont ayant rejoint l’autre monde, il fallait trouver l’argent.


Pendant ce temps, l’âne continuait d’avancer, nullement dérangé par la violence de l’agression. Bientôt, la charrette atteignit le chemin qui mène à la ferme de la Coupe.
Audé ramène l’attelage vers le Bois aux Roux. Un bruit de grelot l’inquiète, c’est le charretier Giraud, qui passe sur la route. Audé cache l’âne du vieux messager dans le bois, et s’empare de l’argent (environ 66 francs et une paire de ciseaux appartenant à une femme Marionneau). C’est à cet endroit que le corps et l’âne seront retrouvés par le jeune Latus, le lendemain.
Audé, son forfait accompli, rentre chez lui. Avant d’entrer dans la maison, il prend le soin de plonger sa blouse ensanglantée dans le chaudron plein d’eau de son jardin. Il y placera également son pantalon et sa chemise. Puis il se couche aux côtés de sa femme, et lui raconte les détails de son méfait.
Le lendemain, Audé s’empressa de payer son propriétaire et divers débiteurs. Sa femme, elle, n’est pas en reste : elle part prévenir les gendarmes. Ils perquisitionnent chez lui, découvrent le fusil en morceau, les fameux ciseaux volés et la méthode de lecture aux pages manquantes. Audé est absent. Lorsqu’il revient, sa femme le prévient d’une nouvelle visite des gendarmes : Audé prend alors la fuite, se cache vers Rochefort et change de nom. Finalement, il est arrêté et jeté en prison.
Son procès se déroule le 26 et 27 novembre 1896. De nombreux témoins à charge sont entendus. Audé nie tous les faits qui lui sont reprochés. Au terme de l’audience, il est condamné aux travaux forcés à perpétuité. Il échappe de peu à la guillotine, bénéficiant de circonstances atténuantes et ayant été blanchi sur la question du vol d’argent (il ne fut pas prouvé que Dupont ai eu les 66 francs sur lui).

L’histoire s’arrêtera là, car notre homme finit par mourir à Kourou, en Guyanne, le 27 octobre 1898.



Témoins :
  • M. Laugier, maire de Dienné, 88 ans. « Je ne l’ai vu qu’une seule fois, et je lui ai conseillé de changer sa vie et de devenir un homme honnête. Il était craint dans la commission où on l’accusait de commettre des vols. »
  • Louis Rivaud, brigadier de gendarmerie à la Villedieu. C’est lui qui a découvert le fusil qui a servi à commettre l’assassinat et la méthode de lecture de la fille Angèle Audé, a qui il manquait deux pages.
  • Louis Latus, 13 ans, domestique chez M. Audebert Jules, à Vernon. Jeune berger, c’est lui qui découvre le cadavre.
  • Jean Berthonneau, 54 ans, fermier à la Braudière, commune de Vernon. Il entend un coup de feu après avoir quitté sa maison, vers 9h14.
  • Placide Giraud, 20 ans, roulier à Vernon, et soldat au 125e de ligne à Poitiers. Revenant de Poitiers, il passe au Bois Labbé vers 10h30 et ne remarque rien d’inhabituel.
  • Pascal Petit, 52 ans, roulier, rue de Fleury (faubourg de la Tranchée) à Poitiers. Rentrant de Vernon à Poitiers, il croise un charretier (Dupont) à 600/700 m de Nieuil et à 3km du lieu du crime. C’est lui qui, le 16 mars, trouve sur les lieux du crime un morceau de bois (crosse du fusil) et le remet au cantonnier qui l’accompagne.
  • Victor Peninon, 18 ans, domestique à la Courpe, commune de Vernon. Il est passé vers 10h du soir à 300 m du lieu du crime.
  • M. le docteur Brossard à Poitiers. Il pratique la visite du corps. Il constate qu’un œil est crevé et que la victime a subi 17 à 18 coups de couteau.
  • M. Lecomte, 60 ans, arquebusier, place d’Arme à Poitiers. Il a enlevé les bourres du fusil de l’assassin dans le cabinet du juge d’instruction, en présence d’Audé.
  • Louise Dupont, aubergiste à Chiré-les-Bois, fille de la victime.
  • Alexandrine Audé, née Laurent, 31 ans, domestique à Cubord, commune de Salles-de-Toulon,
  • M. Delaye, coutelier à Poitiers. Il livre le jour du crime une paire de ciseaux au Père Dupont, qu’il lui avait remis 8 jours plus tôt pour les repasser. Ces ciseaux appartiennent à Madeleine Marionneau, née Fernier, 57 ans, lingère à Chiré.
  • Louis Pasquet, 80 ans, débitant de tabac à Fleuré. Il déclare qu’après le jour du crime, Audé lui a versé 5 francs sur les 9 francs 60 qu’il lui devait.
  • Jean Chebassier, cultivateur à Saint-Maurice, homme d’affaires de M. Papillon, a versé à Audé, de janvier à février, une somme de 52 francs.
  • Louis Thimonier, cantonnier aux Berlinguets, rencontre Audé le 7 mars vers 6h du matin. Ils font route ensemble, et Audé montre son vieux fusil au cantonnier. Ils se rencontreront de nouveau le 14 mars. Il reconnaîtra à l’audience le chapeau de paille que portait Audé ce jour-là.
  • Alexis Naudeau, cantonnier, à la Pierre-Levée, à Poitiers. Il rejoint Audé et Thimonier, lorsque ceux-ci, le 7 mars, vont sur Poitiers. Ils boivent tous trois une chopine chez Tessier. Lui aussi verra de nouveau Audé le 14 mars.
  • Ernest Auguste Guilbault, ancien commissaire central à Poitiers, donne des renseignements sur les dépenses du père Dupont le 14 mars.
  • Marcel Clercy, 35 ans, restaurateur place du Marché Notre-Dame, accueille souvent le père Dupont, les mardis et les samedis. Il n’a pas vu Audé, mais son domestique a aperçu un inconnu avec un chapeau de paille.
  • Louis Pineau, 42 ans, épicier à Dienné. Il voit Audé place du Marché vers 8h30 le 14 mars, puis l’aperçoit dans la cour de l’hôtel Clercy à une heure.
  • Georges Verdier, chiffonnier, rue Saint-Cyprien. Le 7 mars, il n’a pas voulu acheter le vieux fusil que venait lui proposer Audé. Une semaine après, même visite, il n’a toujours pas voulu acheter l’arme.
  • Marie Gris, née Gaudin, 26 ans, marchande rue des Trois Rois, n’a pas voulu, elle non plus, acheter le fameux fusil.
  • Ferdinand Cocu, chiffonnier à Poitiers. Il n’a pas voulu acheter le vieux fusil, pour les 8 francs qu’Audé lui demandait.
  • Jean Martin, 46 ans, receveur d’octroi, faubourg Saint-Saturnin, à Poitiers. Il voit passer le père Dupont à son bureau le 14 mars vers 7h30, puis vers 3h de l’après-midi.
  • Madeleine Chartier, née Proquereau, épicière, faubourg du Pont-Neuf. Elle voit un individu ressemblant à Audé sur la route de Nouaillé, le matin du 14 mars.
  • Hubert Caillet, débitant à Poitiers, a vu le père Dupont qui lui a vendu des œufs le 14 mars.
  • Eugène Guérin, facteur rural au Pont-Neuf, à Poitiers. Il fait le service de Nouaillé. A 3h30, il croise un homme ressemblant à Audé à 2km de Poitiers, puis croise le père Dupont 1 km et demi plus loin.
  • Jean-Louis Deniort, taupier à Poitiers, croise un individu égaré sur le pont de la Cardinerie, près le Petit Saint-Benoît.
  • Jean Morin, fermier, route de Mignaloux, a vu passer un individu étrange vers 4h, puis, 1h après, venait le père Dupont.
  • Louise Petit, couturière à Availles, commune de Nouaillé, a vu notre homme vers 6h du soir, puis le père Dupont vers 7 heures.
  • Marie Maitre, née Dugué, 41 ans, épicière à Nieuil-l’Espoir, a vu passer le père Dupont, mais pas d’individu suspect.
  • Jean-Baptiste David, brigadier de gendarmerie à Gençay.
  • Abel Mercier, brigadier de gendarmerie à Lhommaizé.
  • M. Clément, avocat-général.
  • Me Guillaume Poulle, avocat de la défense.
Les principaux protagonistes de cette affaire seront de la prochaine mise à jour des petites affaires criminelles de la Vienne.  

Source : La Semaine, 29-11-1896, vues 81/100 et suivantes

3 commentaires:

  1. J'ai bien apprécié la lecture, merci !!!

    RépondreSupprimer
  2. Merci pour ce récit, je ne connaissais pas votre rubrique, j'ai pris un immense plaisir à la découvrir !
    Alain

    RépondreSupprimer