jeudi 2 février 2012

Révolutionner la Folie.


Le Dr Pinel, membre de la section des Piques, est au pied de l'échafaud le 21 janvier 1793. Il assiste en tant que médecin à l'éxécution de Louis XVI, qu'il racontera dans une lettre à son frère..... 


Hasard et nécessité. Il servira dans les années qui suivent et jusqu'à la fin de sa vie la cause de ceux qui ont perdu la tête !

Pinel, nommé médecin des aliénés à bicêtre en Aout 93,  déchaîne la folie, bouleverse les principes, arrête les mauvais traitements, lave, rend dignité, instaure les prémices d'une spécialité qui ne porte pas encore de nom et qui aujourd'hui encore n'en finit pas de naître. 

 Persuadé que la fermeté et la  douceur, la persuasion, l'activité physique valent bien plus que les plus fortes chaines, que les médicaments, bref anti-psychiatre avant l'heure, il écrit, raconte, classifie, réfléchit aux meilleurs moyens de guérir la folie des hommes qui l'entourent, de vaincre leurs angoisses dans une époque qui marche sur les têtes. 

En pleine révolution, il donne à cette science naissante les premières descriptions de délires. Et on ne délire pas au hasard sous la Terreur ! On délire à en perdre la tête ! Arme d'une justice expéditive qui tranche à tout va, la guillotine est de toutes les obsessions. On craint de porter la tête du voisin sur ses propres épaules, on craint toujours sur le même thème.

La sémiologie psychiatrique commence avec le syndrome post traumatique. 

Ce résumé rapide de la première partie de ce livre passionnant (L'homme qui se prenait pour Napoléon), m'a amenée à fouiller la folie révolutionnaire aux ADV de Poitiers. 

Bonne pioche ! Série L263 : les fous, les aveugles, les enfants abandonnés sous la révolution.... 
Je me voyais déjà relisant les premières observations psychiatriques consignées à Poitiers... Ce n'est pas tout à fait ça. 

De la capitale, Pinel dans les années qui suivent la Terreur organise le traitement de la folie. Sectorise avant l'heure. Pour appliquer ses méthodes novatrices, on rouvre Charenton qui fut asile puis prison, on rénove. On souhaite en faire un établissement "pilote". 
Les feuillets retrouvés aux ADV nous racontent les débuts de la psychiatrie et Charenton, quatre ans après la Terreur, An 5 et 6 de la République.  




Principes novateurs de la prise en charge des Aliénés, Organisation de Charenton sous la tutelle du ministère de l'Intérieur, tout y est parfaitement résumé. 


Pourquoi ces documents à Poitiers ? Parce qu'on recrute ! Les familles poitevines y sont invitées à envoyer leurs insensés et ces petits feuillets informatifs seront adressés à chaque administration cantonale. 

 En fait de médecin philosophe, c'est Coulmier (ancien abbé) qui sera nommé. Sous sa direction l'établissement accueille  le plus célèbre des libertins... de l'époque le Marquis de Sade.
La folie aura son théatre. 
A Charenton, Coulmier ne sera pas l'humaniste espéré, de la théorie à la pratique, le goufre est vertigineux. 



Esquirol, élève de Pinel rejoindra Charenton, dénoncera les pratiques de Coulmier et  ajoutera fermeté aux principes de son maitre. 
Il donne aujourd'hui son nom à cet établissement. 

Salut et Fraternité. 


Pour tous les fadas du sujet, voici, l'ensemble des documents trouvés aux ADV et leur transcription. 

1er Pluviose an VI. 
Citoyens, depuis longtemps l'humanité gémissait sur l'absence d'une institution propre au traitement de la folie. 
Il existait bien à Charenton, à l'époque de la révolution un hospice où l'on admettait, à titre de pension, des insensés considérés comme incurables ; mais des circonstances impérieuses avaient forcé d'interrompre cette partie de service intérieur, et d'ailleurs aucun moyen de traitement  et de curation ne s'y trouvait établi. 
Le Directoire exécutif, instruit que les bâtiments dépendants de cette maison réunissaient par leur distributions aérées et salubres, ainsi que par l'étendue des jardins, tous les moyens propres au traitement, et voulant laisser une preuve constante de sa sollicitude pour le malheur, a ordonné, par arrêté du 27 prairial dernier, que cet hospice serait rendu à sa destination première, et qu'il y serait fait en outre toutes les dispostions nécessaires pour y établir le traitement en grand complet de la folie. Vous trouverez ci-joint copie de cet arrêté. 

D'un autre coté, citoyens les remèdes physiques ne sont pas les seuls auxquels on doive recourir pour la guérision de cette maladie ; les moyens moraux peuvent aussi procurer de grands succès : il faut que l'homme de l'art appelle à son secours la philosophie et la plus tendre humanité.  Il n'y a pas d'insensés qui, dans le nombre des individus qui les soignent, n'en affectionnent quelques-uns : ces individus- là ont souvent sur eux le plus grand empire ; ils parviennent à les faire lever, les conduisent en promenade, au bain, à la douche, et leur font prendre un breuvage désagréable par la seule persuasion. Combien donc sont coupables ceux qui se familiarisant avec cette maladie, cessent de voir leurs semblables dans ces victimes intéressantes et les traitent avec dureté ! 
L'administration d'un nouvel établissement, confiée à des amis de l'humanité et dont le zèle égale le désintéressement, et à un médecin philosophe, réunira cet heureux concours des moyens physiques et moraux, en même temps qu'une surveillance paternelle procurera aux insensés le soins les plus affectueux. 
Les Administrateurs choisis méritent toute votre confiance ; et je considère comme une douce et honorable fonction de mon ministère d'être le premier Administrateur de cet établissement, et de pouvoir coopérer à ce que l'humanité a droit d'attendre de cette institution. 
Le succès de l'établissement dépendant plus particulièrement du médecin, le Directoire appelle à cette place l'homme qui lui a paru y avoir le plus de droits, le citoyen Gastaldy, connu par d'excellens mémoires, mais surtout par les fonctions que depuis 1762 il a remplies comme médecin en chef de l'hospice des Insensés d'Avignon. Les vues philanthropiques qui l'ont dirigé dans l'exercice de ses fonctions, ont contribué à donner à cet hospice une grande célébrité, par la réunion des secours moraux et des remèdes physiques, qui, suivis de succès, ont évidemment provoué que les observateurs français pouvaient prétendre aux mêmes résultats dont les Anglis ont cru être en droit de s'enorgueillir exclusivement. 
Je me flatte que vous partagerez la satisfaction que j'éprouve à vous donner connaissance de cet établissement. Je joins à l'arrêté du Directoire un avis de l'Administration sur les détails économiques et sur les conditions pour y être admis. 
Je vous invite à donner à cet objet de la publicité, pour l'utilité des familles qui désirent procurer un asyle à des insensés. 
Salut et Fraternité. 
Signé : Letourneur. 
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Extrait des Registres du Directoire exécutif, du 27 Prairial, an 5 de la République française, une et indivisible. 

Le Directoire exécutif, ouï le rapport du ministre de l'intérieur ; considérant que, parmi les institutions de bienfaisance, il n'existe en France aucun établissement où, sous les rapports de l'art, la folie soit traitée avec méthode et de manière à parvenir à une guérison plus assurée ; considérant que les locaux affectés au traitement de cette maladie dans le grand hospice d'humanité de Paris, ne présentent aucun moyen de donner à ce traitement tout le développement nécessaire ; que d'ailleurs ces locaux sont réclamés par l'amélioration des autres parties du service de cet hospice ; considérant que les bâtiments de Charenton près Paris, connus sous le nom de  Maison de refuge pour les fous, réunissent, par leurs distributions aérées et salubres, ainsi que par l'étendue des jardins et terrains qui en dépendent, tous les moyens propres au traitement en grand et complet de la folie ; désirant aussi donner particulièrement à une classe infortunée, trop longtemps négligée, une preuve constante de la sollicitude du Gouvernement pour le malheur, arrête ce qui suit :
Article Premier. 
L'hospice de la Charité de la commune de Charenton près Paris, connus sous le nom de Maison de refuge pour les fous, sera rendu à sa première destination ; il sera fait en outre toutes les dispositions nécessaires pour y établir un traitement complet pour la guérison de la folie. 
Article 2. 
A compter du jour où ce traitement pourra être mis en activité, la maladie de la folie ne sera plus traitée dans aucun autre hospice de Paris, et les salles destinées à cet usage au grand hospice d'humanité seront rendues au service de cette maison. 
Article 3. 
Toutes personnes des deux sexes, attaquées de ce genre de maladie, et de quelque endroit qu'elles viennent, seront reçues dans l'établissement pour y être traitées, les indigens gratuitement, et les non-indigens moyennant une rétribution journalière : les soins seront les mêmes pour tous. 
Article 4. 
Les malades indigens, non curables, seront placés dans les maisons déjà destinées à les recevoir; les familles des non-indigens pourront les laisser dans l'établissement moyennant pensioin, dont le minimum sera de 600 francs. 
Article 5. 
Il sera attaché au service de l'établissement un Econome, un médecin et deux élèves, l'un en médecine et l'autre en chirurgie : la place du Médecin sera donnée au concours. 
Article 6. 
La dépense de l'établissement sera acquittée avec le montant de ses revenus existans : du produit des pensions et rétributions des non-indigens, et, en cas d'insuffisance, avec les secours du gouvernement. 
Article 7. 
L'établissement sera sous la surveillance du ministère de l'intérieur ; le Directoire exécutif l'autorise à nommer les agens et à faire tels règlements qu'il jugera convenables pour l'organisation du service et le régime intérieur de cet hospice. 

Article 8. 
La partie des bâtimens consacrée aux maladies ordinaires des habitants du canton, continuera d'être employée au même usage, mais sous la même administraiton que le surplus de l'hospice. 
Le présent arrêté ne sera pas imprimé. 
Pour expédition conforme, le président du Directoire exécutifl signé Carnot, par le directoire exécutif, le secrétaire général, signé Lagarde. 
Pour copie conforme :
Le ministre de l'Intérieur, Letourneur. 
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Avis; 
La maison de Charenton prend son nom de ce bourg, distant de Paris de deux lieues. Située sur une demi-côte au bas de laquelle coule la Marne, et à peu de distance de son confluent avec la Seine, elle est dans la plus belle exposition : on y jouit d'un air salubre; l'enclos est vaste; les eaux y sont abondantes. 
Il y a un local destiné au traitement de la folie ; on y a établi des bains froids et chauds, des douches ascendantes et descendantes, secours essentiels à la curation de cette maladie. 
On sera admis au traitement moyennant un prix de journée fixé à trois francs. 
La maison de Charenton a conservé une partie de ses revenus ; ce qui offre à l'administration la facilité de modérer le prix de ce traitement, nécessairement dispendieux, surtout par le nombre d'infirmiers qu'exige le service des insensés. 
Comme les succès ne s'obtiennent souvent dans cette maladie que par la persévérance dans leur administration, si le traitement est inefficace à une époque, on y soumettra les malade à l'époque du printemps, qui parait être préférable à toute autre. 
il y a des genres de folie qui sont peu susceptibles de curation ; alors la maison de Charenton offre aux familles la ressource d'un pensionnat où les secours de l'humanité seront prodigué à ces victimes malheureuses d'une démence incurable. 
Il y a des maisons où l'on reçoit les fous, mais si on en excepte un très petit nombre où la qualité de l'homme soit respectée, ces maisons sont un objet de pure spéculation. L'insensé est privé de la surveillance de sa famille, livré à la parcimonie, et souvent à des traitements d'autant plus cruels que la plainte lui est interdite. 

La maison de Charenton, au contraire est confiée à des administrateurs qui n'ont accepté cette honorable fonction que par philanthropie, et qui ne peuvent que justifier la confiance des familles et celle du gouvernement. 
Le pensionnat est un vaste bâtiment où l'on jouit de la vue la plus agréable. 
Il y a des chambres communes, des chambres particulières à cheminées, et des appartements composés de plusieurs pièces pour ceux à qui leur fortune permet la facilité d'avoir un domestique particulier. 
Des terrasses du grand jardin sont destinées à la promenade et on conduit dans la campagne les malades dont l'état permet de sortir au dehors. 
Il y a des salles d'assemblées, de billard et de jeux tels que les dames, les échecs, le trictrac, et une bibliothèque, enfin on
 y réunit tous les genres d'amusement et de distraction : car l'isolement est un moyen d'augmenter la folie, tandis que la société et la vie commune en est un de l'adoucir. 
La table y est bonne ; cette jouissance étant souvent la seule qu'on puisse procurer dans cet état : la nourriture consiste en potages, viandes et volailles bouillies et roties, poisson pâtisseries, légumes et fruits. 
Le prix du pensionnat diffère à raison de l'aisance et des jouissances que la fortune de l'individu permet à sa famille de lui procurer : le minimum est de six cents francs par an. La famille fournira le coucher, quatre paires de draps, deux douzaines de serviettes, et se chargera de l'habillement : la maison pourra procurer ces objets moyennant une somme additionnelle dont on conviendra. 
Les familles s'adresseront, pour les conditions, au citoyen Coulemier, régisseur de l'établissement à Charenton.