lundi 17 décembre 2012

La noyade de Saint Saviol - 1749 - Mise à jour.



Mercredi 12 Décembre, Alain Texier a présenté devant l'assemblée des Amis du Pays Civraisien,
 la noyade de Saint Saviol. 
L'occasion de préciser les données, de développer des hypothèses, d'illustrer cette étrange affaire.
Pour notre plus grand plaisir, Alain Texier raconte, précise et récapitule. 
Embarquement immédiat. 

La noyade de Saint-Saviol - 1749

Présentation

Après avoir relu les différentes pièces du dossier, je reviens sur mes premiers écrits, car je m’aperçois que j’y ai commis quelques erreurs. Je vous prie de bien vouloir m’en excuser, et je pense que la version qui suit correspond davantage à la réalité des faits.

En recherchant les traces de certains de mes ancêtres à Saint-Saviol, un texte des registres paroissiaux a attiré mon regard. En effet, les actes de baptême ne prennent que 4 à 5 lignes, les actes de mariages environ une demi-page, et les actes de sépulture comportent 6 à 7 lignes, selon le nombre d’accompagnateurs à la dernière demeure du défunt. Ici, un acte de sépulture daté de 1749 s’étalait sur quinze lignes, et le nombre de 22 corps enterrés ce jour là m’a très fortement intrigué. C’est en lisant ce texte que j’ai pris connaissance du drame qui s’était déroulé dans ce secteur du Sud de la Vienne.
L’existence d’un procès verbal dressé par l’administration de l’époque étant mentionnée dans l’acte, j’ai caressé l’espoir que ces papiers avaient été conservés.

Ayant parlé de ce fait divers sur un forum de généalogie (GE86), Sébastien Pissard a trouvé les références du dossier judiciaire de cette affaire (4B 68) et Gloria, notre sorcière, s’est déplacée aux Archives Départementales pour en faire des photos qu’elle m’a transmis.

Le registre de St Saviol

Voici donc l’écrit qui a éveillé ma curiosité : il s’agit, sur cet écran, d’un montage des photos des pages 29 et 30 du registre BMS – 1745-1763, prises sur le site des Archives Départementales de la Vienne.



Texte
           
Remis en français actuel, avec ponctuation et majuscules.

Aujourd’hui dix sept mars mil sept cent quarante neuf ont été inhumés dans le cimetière du bourg le nombre de vingt deux corps morts tant femmes, garçons, filles de tous ages tous mendiants à nous, presque tous (jeunes) et tous de paroisses étrangères, qui se sont noyés de hier en passant au bateau de Réfoux dont procès verbal et levée des dits corps a été fait par messieurs les officiers de Civray du nombre desquels on cite Jeanne âgée de douze ans, Louis, âgé de huit ans, fils de Gabriel Bertaud du village de Fortran, paroisse de Linazay, Jeanne âgée de seize ans, Jacques âgé de huit ans fils de feu Jean Metayer et de Charlotte Moduit, Jeanne Baudain fille de André Baudin et de Elizabeth Baré âgée de douze ans, Françoise Micheau âgée de trente ans ou environ, Louis et Paul Picoult, ses enfants, Jeanne Ménard veuve de André Braud, François Braud son fils, Lisabelle Epinoux et sa fille Jeanne et deux de ses enfants, femme de Pierre Lemape, la femme de Briand, la Chermante et sa fille, le fils de Chesnain, la fille de Pierre Barbarin
Bruneau, prieur curé de St Saviol.


Ce qu’il nous apprend : nombre de victimes avec leur provenance et condition sociale, lieu de l’accident, existence d’une enquête, et l’identité de la plupart d’entre elles.

Le document de Linazay

La plupart des victimes étant originaires de Linazay, le curé de cette paroisse a également reporté sur ses registres le nom de celles de ces ouailles qui ont péri dans l’accident. Je vous fais l’économie de la photo de l’acte, mais en voilà le contenu (registres de Linazay BMS - 1746-1764, page 19 – AD86). Notez qu’il a commis une grossière erreur sur la date puisqu’il écrit celle du 16 janvier 1749, soit deux mois avant les faits. Il se trompe aussi sur le nom d’une de ses paroissiennes, dont pourtant il avait baptisé les enfants : il écrit « Françoise Michel » au lieu de « Michau ».

Le seize janvier 1749 vingt quatre pauvres se sont noyés dans la rivière de Charente près le moulin de Réfoux paroisse de Saint-Saviol du nombre desquels étaient Jeanne Menart, François Braut son fils, Francoise Michel veuve de Louis Picaut, Louis et Paul Picaut ses enfants, Jeanne et Louis Bertaut, Jeanne et Jacques Metayer, et Jeanne Baudin, tous du village de Fortrant de cette paroisse qui ont été inhumés dans le cimetière de Saint-Saviol.
H. Moreau curé de Linasay.


Les lieux



La Charente constitue un obstacle à franchir pour les voyageurs, et les passages entre Civray et Comporté étaient (et sont encore) rares. Il n’y avait alors de pont qu’à Dalidant.
Nous verrons tout à l’heure que les personnes qui se sont noyées venaient de Fortran, sur Linazay pour se rendre au Ravary, et que des témoins revenaient de la messe de St Saviol pour rentrer chez eux, aux Champs et Chez Boisson.
Pour traverser la rivière sans faire de longs détours, il était donc nécessaire de prendre des bacs, et il y en avait justement un au moulin du Réfoux. Il devait aussi être possible de traverser à gué, mais au mois de mars, en période de hautes eaux, ce ne devait être possible qu’en voiture à cheval, et encore, ce n’est pas sûr.
Le pont Bridé n’existait pas, mais il est probable qu’à cet endroit il y avait un gué.
Je pense également que c’est par bateau que les habitants des Poiriers se rendaient à la messe à St Saviol, avec une embarcation qui devait être en aval du moulin de Roche, auquel ils accédaient par le raidillon actuel (un chemin d’ailleurs existe toujours qui va de l’église de St Saviol vers le moulin de Roche Papillon, mais s’arrête en plein champ, comme celui de Bessigny). C’est quand même plus court que de faire le détour par Comporté.
Pour aller de St Saviol au Réfoux, comme l’a fait le meunier, il est possible soit de passer par Chez Sagaud, descendre le coteau et rejoindre Bessigny, soit de passer par Chalbret. De Bessigny vers le moulin, avant le Ravary, un chemin qui existe encore, qui se dirige vers le moulin, mais qui, actuellement ne va pas jusqu’au bord de l’eau. Il est probable qu’à l’époque c’était le chemin ordinaire pour accéder au bac.
Les passages par ce moulin et ce bac étaient donc fréquents, et le meunier ou ses aides devaient souvent être appelés à faire l’aller-retour (moyennant piécettes ?).

Le moulin se trouvait au dessus d’un canal qui existe encore, qui alimentait la roue. Les logements et la cour du moulin se trouvaient sur la rive droite, du côté de l’Echelle. De l’autre côté du canal, il y a un îlot où il devait être possible de se rendre depuis la cour par une passerelle passant devant le bâtiment du moulin, au-dessus de l’accès à la roue, comme on le voit sur tous les moulins. Le bac se trouvait sur l’autre rive de l’îlot, vers Bessigny.
Immédiatement en aval de cet îlot, la Charente se divise encore une fois et contourne la « Grande Ile du Réfoux », le bras de droite étant cependant bien moins important que celui de gauche, qui longe les coteaux.
En se rendant sur place actuellement, au lieu-dit « le Réfoux », sur la rive droite de la Charente, (donc du côté de la laiterie), on ne voit que deux petites maisons, semblant inoccupées, et un hangar agricole, au bord d’un petit bras canalisé de la rivière.

L’histoire


Ce schéma est adapté de celui de Bernard Baillargeon, qui est cordialement remercié.
Le dimanche matin 16 mars 1749, sous le règne de Louis XV, dit le Bien Aimé, tombe cette année là un mois jour pour jour avant Pâques. Le soleil se lève vers 5 h 45 et se couche vers 18 h 15 à l’heure solaire qui était suivie à cette époque. Denis Bourdereau, le meunier du moulin du Réfoux, un homme d’environ 57 ans, revient de la messe dite par le curé Bruneau à Saint-Saviol avec son épouse, Jeanne Blanchard. Ils sont sûrement accompagnés de leurs trois enfants, Louis, 16 ans, Suzanne-Magdeleine, 12 ans et Jeanne 10 ans. Ils passent par Bessigny, suivent le chemin qui mène à la rivière, et prennent le bateau qui les attend pour traverser jusqu’au moulin.
Arrivés dans la cour du moulin, il y trouve une troupe d’une vingtaine de femmes et d’enfants. Ce sont des miséreux dont la plupart sont de Fortran, de la paroisse de Linazay. Oh, il reconnaît bien parmi elles la Grimaude, la fille de Pierre Grimaud des Poiriers, une belle plante de 17 ans, avec un panier de sardines sous son bras, et la jeune veuve Dragon qu’il connaissait de nom, donnant le sein à un bébé d’un an ou deux.
En homme charitable, ayant reçu la communion le matin même, il leur distribue quelques piécettes. Elles lui demandent alors de leur faire traverser l’eau, car elles veulent aller au Ravary. Le brave meunier ne le désire pas : il avait déjà fait la traversée deux fois dans la matinée, et il était l’heure de la soupe (il était vers les 10 et demi – heure solaire). Les femmes se tournent alors vers le farinier du moulin, Louis d’Aulière (ou d’Auliene), qui ne peut pas résister à un joli sourire de l’une ou l’autre, et accepte de les faire traverser. 
Tout le monde se précipite dans le bateau, en essayant de se caser tant bien que mal, la plupart des femmes restant debout, faute de place.
Nous sommes à la fin de l’hiver, et le courant est assez fort, d’autant que le moulin ne fonctionnant pas en cette journée de dimanche, les pelles de l’exutoire sont ouvertes, faisant augmenter d’autant le courant dans la branche principale.
Vers le milieu de la rivière, le bateau, trop chargé, commence à prendre l’eau, mais l’on est presque arrivé. Encore un coup de perche, et enfin la barque touche la berge, mais hélas, comme souvent, l’accostage ne se fait pas en douceur, et le choc du bateau contre le bord déséquilibre les personnes debout qui se renversent les unes sur les autres et finissent par tomber à l’eau. Le bateau se remplit rapidement d’eau et coule. Bien évidemment, personne ne sait nager, et les pauvres femmes sont encombrées par leurs cotillons, ou tentent de garder leur bébé dans les bras. Aucune n’en réchappera.
Quant à d’Aulière, le farinier passeur, il a la chance d’être secouru par son valet Pignou qui se trouvait sur la berge et lui tend une perche qui l’aide à sortir de l’eau.
Les gens du moulin, sur l’îlot, assistent à la scène : les domestiques Pierre Dugué, Jacques Challeroux et Pierre Chesnain. Je pense que le meunier a du également voir le drame. Sur l’autre rive se tiennent Pierre Gendreau, habitant les Champs, paroisse de St Pierre, et Charles Bouchet de Chez Boisson qui arrivaient également de la messe à St Saviol, et désiraient traverser par le bac pour rentrer chez eux.
Bien sûr, ce fut l’affolement au moulin. Pierre Chesnais attelle la ghiole (pour les non patoisants, c’est une voiture à cheval), et emmène sa patronne, Jeanne Blanchard, à Civray, où ils vont rapporter les faits au procureur du Roi, monsieur Lelong de la Fragnée, qui dépêche aussitôt une commission d’enquête constituée par :
-          Jean Albert, conseiller du Roi, juge de la sénéchaussée de Civray, (selon Bobe : « sieur de Bellevue, gendre de Jacques Cacault, mourut le même jour que sa femme après 56 ans de mariage »). En effet, Jean Albert et Louise Marguerite Cacault s’étaient mariés le 24/10/1695 à Saint-Clémentin (BMS – 1693-1724, p. 5). Ils ont été inhumés tous les deux dans la même tombe le 5 novembre 1750 (BMS – 1745-1750, p. 114), lui, à l’âge de 77 ans, et elle, à 76 ans. Il avait donc 75 ans environ au moment de cette enquête.
-          Jean Malapert, procureur du Roi, commis greffier en l’absence du greffier ordinaire,
-          André Descats, huissier et
-          Jean Pascault, maître chirurgien, lieutenant des chirurgiens de Civray.
(Tous ces personnages sont cités également comme tels dans l’ouvrage de Bobe : A. BOBE – Histoire de Civray – Imprimerie administrative centrale – Paris - 1935).
Arrivé sur place, en tout début d’après-midi, le juge interroge en premier le meunier Bourdereau. C’est de cet interrogatoire que nous sont parvenues la plupart des informations que nous avons sur ce drame.
Après l’interrogatoire du meunier, les enquêteurs vont sur les lieux mêmes, où ils peuvent voir des cadavres sur des îlots. Malheureusement, il n’était plus possible d’aller les chercher, car il n’y avait plus de bateau sur place, le seul existant ayant coulé. Trois personnes (Louis Barantin de l’Echelle, Jean Meusnier et Jacques Ollivier, tous deux du Ravary) sont dépêchées au moulin de Roche sous les Poiriers (Roche Papillon) pour y emprunter un bateau qui servira au repêchage des corps. Avec Jacques Dardou (ou Dardon), habitant au Réfoux et François Garnier, de St Saviol, ils vont sortir les cadavres de l’eau et les emmener aux moulins – au pluriel dans le PV : il y avait donc plusieurs moulins au Réfoux.
A six heures, la commission judiciaire interrompt ses investigations, en demandant que les recherches continuent. Il s’en vont diner à Comporté (pour 18 sols).
Le lundi 17 mars, à huit heures du matin, les enquêteurs sont de nouveau sur place, mais aujourd’hui, le procureur Lelong de la Fragnée les accompagne, et ordonne que les corps soient enterrés au cimetière de Saint Saviol, et que les fosses soient creusées. Les recherches reprennent et les cadavres de dix sept victimes sont sortis des moulins où ils avaient passé la nuit pour être exposés dans l’îlot : sept jeunes garçons et dix femmes et filles de différents âges.
La nouvelle de ce tragique accident s’était bien sûr répandue dans les villages alentours, et beaucoup de monde est venu : des parents et des maris inquiets de ne pas avoir vu revenir leur famille la veille au soir. C’est ainsi que Jacques Briand, de Champagné le Sec, reconnaît sa femme Anne Feumolant. De Fortran à Linazay, les sœurs Suzanne et Françoise Brault découvrent les cadavres de leur mère Jeanne Mesnard et de leur frère François Brault. La malheureuse était la veuve d’André Brault. Catherine Moussault, femme de Gabriel Bertault a reconnu deux des cadavres pour être ceux de Louis et Jeanne Bertault, ses enfants.
Les enquêteurs remarquent à la ceinture de l’une des jeunes femmes trois clés et des ciseaux, et à la ceinture de l’autre une grosse clé, que Suzanne Brault dit lui appartenir, mais que réclame Françoise Bouteland, sa belle-mère.
Après ces premières constatations, le juge fait embarquer les cadavres pour les disposer dans deux charrettes de l’autre côté de la rivière afin les conduire au bourg de St Saviol. C’est en effet le chemin le plus logique si le gué Bridé n’était pas praticable. Nous connaissons les noms des conducteurs de ces charrettes : il s’agit de François Bonnet, Pierre Bouchet, Charles Gibault et Pierre Dexmier.
Le chirurgien Pascault (le médecin légiste avant la lettre) a eu le temps d’examiner les corps, et déclare que la mort est due à « l’abondance d’eau dans laquelle ils tombèrent le jour d’hier et dont ils ont été suffoqués, étouffés et noyés. »
Tous ces événements ont pris la matinée, et, à midi, les enquêteurs se retirent pour prendre leur repas (toujours à Comporté). Mais les recherches des autres cadavres se poursuivent, par les nommés Barantin, Savy, Boucher, Dardou et Rivaud. A deux heures, le ventre repu (moins cher que la veille au soir : 16 sols), les membres de la commission reprennent leurs travaux, en examinant cinq autres cadavres. Le juge ordonne que ceux-ci rejoignent les autres au cimetière de St Saviol, et nomme les personnes chargés de creuser les fosses : Jacques Marché, sacristain de la paroisse, les nommés Pierre Saunier et Gabriel Cognac, Jacques Brumault, Pierre Moreau et Estienne ?.
A cinq heures de l’après midi, le juge Albert clôt son procès verbal et l’huissier André Descats a déjà rédigé l’injonction à comparaître dès le lendemain mardi à 10 heures à Civray, des différents témoins pour prendre leurs dépositions.

Ce même jour, le curé Bruneau procède à la sépulture collective.

Le mardi 18 mars donc, Pierre Gendrault, laboureur au village des Champs (St Pierre), Charles Bouchet, laboureur à Chez Boisson (St Saviol), Jacques Chaleroux, Jacques Verdon, et Pierre Chesnin, qui sont tous les trois domestiques au moulin, font leurs dépositions. Celle de Chesnin nous est parvenue incomplète : il n’en reste que les premières lignes, qui ne sont que les formules officielles, mais rien sur son récit. Les autres concordent à quelques détails près sur la position du bateau au moment du naufrage, et sur l’emplacement des cadavres retrouvés. Selon Verdon, il se serait mis à l’eau, avec d’autres, et aurait retiré trois corps sur la berge : il doit s’agir de ceux que les enquêteurs ont vu en premier. Il est possible qu’il était plus facile de traverser cette partie en ayant pied, sans avoir besoin de nager. Ce passage entre l’îlot du moulin et la grande île est actuellement fermé par une digue.

Un peu plus tard, le 31 mars, Albert fait les comptes de ces deux journées d’investigations ce qui nous permet de connaître les tarifs pratiqués :
Le juge Albert a touché 16 livres pour les deux jours,
le chirurgien Pascault : 8 livres,
l’huissier : 6 livres,
les « pêcheurs de cadavres » : 30 sols,
les faiseurs de coffres : 15 sols,
les charretiers : 20 sols.
Il y a eu également pour 6 sols de papier.

Mais, me direz-vous, on n’a pas beaucoup entendu parler du farinier passeur et de son acolyte ! Car, vous l’avez sûrement compris, il était le principal responsable du désastre par l’imprudence qu’il a commis en faisant embarquer trop de monde dans un petit bateau. Il faut remarquer que son nom n’est pas certain, car l’orthographe diffère d’un document à l’autre. En effet, on peut lire : de Rehange, Dauhiere ou Dauliere et Dezaulier, aux trois passages où son nom est cité. Seul son prénom, Louis est connu avec certitude.
Toujours est-il que, dans ses attendus, le procureur du Roi après avoir décrit les faits, écrit la phrase suivante : « … (tous ont) péris, à la réserve du batelier, qui s’est sauvé à la faveur d’une gaule qu’on lui a présenté, ce qui fait que pour le dit de Rehange il requiert que » suivi d’un blanc. La ligne suivante parle d’autre chose : « Ce considéré, Monsieur, etc. … ». Cela sous-entend que des poursuites ont été faites à son encontre, mais le dossier qui nous est parvenu n’en parle pas.
Il est certain que se sentant coupable, il a pris la poudre d’escampette, sans attendre que les autorités arrivent.


Les victimes


Voyons maintenant quelles sont les victimes. Dans sa déposition, Bourdereau le meunier donne le chiffre de 24 personnes dans la cour du moulin lorsqu’il est revenu de la messe. Les a-t’il vraiment compté ? S’en souvient-il parce qu’il leur a donné à chacun une piécette ?
Le procès verbal, lui, décompte 17 cadavres retirés de l’eau le 16 mars, et 5 le lendemain, ce qui fait 22, comme le curé l’écrit sur l’acte d’inhumation, mais en n’identifiant que 19 individus. Je pense avoir retrouvé l’identité de chacune, et parfois une partie de sa vie. Le curé de Linazay n’a repris que les 10 noms de ses paroissiennes et leurs enfants.
Le tableau donne pour chaque victime le nom, le sexe et l’âge qu’il a été possible de déterminer, ainsi que le nom de son mari, et éventuellement de ses parents. Les autres colonnes indiquent le document qui a fourni les renseignements.

Les victimes, que nous allons énumérer selon l’ordre de la liste du curé Bruneau de Saint-Saviol sont donc :

  1. Jeanne Bertault, 13 ans, et
  2. Louis Bertault, 8 ans, enfants de Gabriel Bertault et de Catherine Moussault. Tous les enfants de ce couple ont été baptisés à Linazay. Les deux aînés (Philippe 18 ans et Catherine 16 ans) leur restaient peut-être.
  3. Jeanne Metayer, 16 ans : il s’agit en toute vraisemblance de Jeanne Metayer, fille de défunt Jean Métayer et de Charlotte Mauduit. Son père est décédé à Linazay en octobre 1748, à 43 ans.
  4. Jacques Metayer, 8 ans, son frère. Leur mère, Charlotte Mauduit reste donc veuve, avec la petite Catherine âgée de 5 ans et Jean, âgé de 4 mois, donc né après le décès de son père.
  5. Jeanne Baudin, 12 ans. Elle est la fille d’André Baudin et d’Elizabeth Barré, mariés en 1728 à Linazay. Elle avait 2 sœurs et un frère, tous plus âgés.
  6. Françoise Micheau (pour le curé de Saint-Saviol) ou Michel (pour celui de Linazay). Agée de 30 ans ou environ, elle est veuve de Louis Picoult (ou Picaut, selon les curés). Ils s’étaient mariés en 1738 à Linazay. Son mari avait 26 ans lorsqu’il est mort à Linazay en 1746. Il est donc a penser qu’elle devait en avoir moins de 29 lorsqu’elle s’est noyée avec ses deux enfants, qui suivent.
  7. Louis Picaut, 9 ans, fils de défunt Louis et de Françoise Micheau.
  8. Paul Picaut, 4 ans, son frère.
  9. Jeanne Mesnard, épouse d’André Brault, a été reconnue par ses filles, Françoise née en 1743 à Linazay (6 ans) et Suzanne, vraisemblablement plus âgée.
  10. François Brault, son fils, est également parmi les victimes.
  11. Isabelle Epinoux. Je n’ai rien trouvé sur cette personne. La citation du curé de Saint Saviol dit qu’elle est la mère de Jeanne, qui suit.
  12. Jeanne, fille de la précédente, et femme de Pierre ? : Le nom du mari est difficilement lisible, et chercher le mariage d’un Pierre inconnu avec une Jeanne inconnue, même en connaissant le nom de la belle mère, est une tâche impossible, sauf coup de chance.
  13. Un enfant de la Jeanne précédente, fille d’Isabelle Epinoux.
  14. Un autre enfant de la même Jeanne, de sexe opposé au premier.
  15. Anne Feumolant s’est mariée avec Jacques Briand en 1738 à St Pierre d’Exideuil, après être passée devant le notaire. Je n’ai pas trouvé sa date de naissance, mais ses parents se sont mariés en 1704. Elle avait donc moins de 45 ans au moment de son décès. Elle a eu au moins 5 enfants, dont deux ont dû mourir en bas âge. Le petit dernier, François avait 3 ans.
  16. La Chermante. Je n’ai trouvé aucun nom se rapprochant. Peut-être était-ce un surnom.
  17. La fille de la Chermante : ne connaissant pas la mère, je n’ai évidemment pas pu trouver sa fille.
  18. Le fils de Chesnin. Se pourrait-il qu’il s’agisse d’un enfant de Pierre Chesnin, le domestique du moulin ? Ce n’est pas impossible, mais d’une part le curé Bruneau dit bien que toutes les personnes inhumées ce jour là étaient étrangères à sa paroisse, et d’autre part, si son fils avait été parmi les victimes, son père aurait plutôt chercher à le retrouver dans l’eau que d’aller accompagner sa patronne à Civray.
  19. La fille de Pierre Barbarin : Je n’ai pas trouvé de famille Barbarin sur le secteur à cette époque.
  20. La fille Grimaud, reconnue par Bourdereau dans sa cour, porteuse d’un panier de sardine. Il dit qu’elle a 17 ans et vient des Poiriers. J’ai trouvé deux candidates dans la paroisse de Saint Macoux, toutes deux filles d’un Jean Grimault : Magdeleine, fille de Magdeleine Beau, née le 25/08/1733, ou Françoise, fille de Suzanne Rougier, née le 06/06/1735.
  21. La veuve Dragon est mentionnée par Bourdereau comme étant une des personnes qui attendaient dans la cour du moulin. Aucun des curés ne la mentionne, et je n’ai pas trouvé ce nom dans les bases de données. Elle portait un bébé au sein.
  22. Le bébé Dragon.

Il y a donc eu 14 femmes ou filles, 7 jeunes garçons et 1 bébé.

Conclusion

Il est navrant de penser que c’est par l’imprudence d’un homme qui n’a même pas eu le courage d’assumer la responsabilité de son acte, que ce tragique fait divers a pu avoir lieu. Mais le fait d’en parler permet d’avoir une pensée pour ces pauvres gens et pour les difficiles conditions de vie de l’époque.

Alain TEXIER

A lire l'article publié en Janvier concernant cette affaire. Vous y trouverez d'autres illustrations (Merci à Bernard Baillargeon pour sa participation, les premières hypothèses et discussions.