dimanche 27 janvier 2013

Deux papas et un enfant - Poitiers - 1774



C'est toujours un vrai bonheur de lire les journaux en ligne.
 Le style, la diversité des sujets, l'approfondissement philosophique, la vulgarisation intelligente, l'anecdotique au service du progrès et non l'inverse, le respect du lecteur....



C'est toujours un vrai bonheur de lire les journaux... du XVIIIème siècle.
Chez nous, les Affiches du Poitou sont en ligne. Une mine d'or pour les curieux, généalogistes ou pas.


Poitiers 1774.
Deux papas et un enfant...exposé, au siècle des Lumières, un document qui éclaire nos lanternes !
Nous avons entrevu le sort de ces petits au travers des nombreux actes d'Angliers. 
En voici un autre témoignage. Resté anonyme dans ce texte, et c'est bien dommage car son histoire est fort singulière.
On y lit qu'il revient au propriétaire de la porte sur laquelle l'enfant est accroché de se charger du colis.
On y lit qu'il peut monnayer d'en confier la charge auprès de L'Hotel Dieu de Poitiers.
On y lit que les papas s'attachent aux enfants qui croisent leur chemin.
On y  lit deux "papas" potentiels plaider pour la garde d'un petit garçon de 7 ans. On y lit aussi une maman nourricière, certes, mais l'émotion, les sentiments des deux pères potentiels est dévoilée, et c'est rarement le cas.
On y lit la définition du mariage : Le motif saint et social de l'union conjugale est d'avoir des héritiers dans lesquels on espère de se voir revivre un jour. 

On y lit la détresse du manque d'enfant
On y lit l'attachement, cet attachement dont on doute souvent à la lecture des documents de l'époque. Ces bons époux chérirent bientôt cet enfant comme s'il fut né de leur union, un bon fils, un joli enfant. 
On y lit le bonheur d'une famille adoptive. cet enfant en grandissant a resserré par sa douceur et ses caresses un noeud si doux ; ils l'appelent leur fils...

On y lit les pratiques de la mise en nourrice. Qui est ce Seigneur ? Qui sont ses enfants légitimes ? Tous en nourrice, comme il est d'usage, ils ne reviennent au foyer familial que quelques années plus tard. Le bel enfant qu'il rencontre, ce bâtard de personne, aurait-il grandi mieux que les petits nobles ?
On y lit les droits que chacun des pères pense avoir sur l'enfant : le droit de le réclamer, le droit de le reprendre, le droit de le garder
On y lit la critique de la loi, les préjugés de la Jurisprudence Féodale.
On y lit les effets de la marchandisation de l'enfant. La famille nourricière abandonne la rente pour justifier de son attachement,  pour convaincre de sa volonté d'adoption.
On y lit la parole rendue à l'enfant. Un enfant de sept ans ! la présence de l'enfant y donnait le plus grand intérêt ; il semblait cependant que c'était à lui seul à prononcer, et que libre par la nature, chez une nation qui ne reconnait point d'esclaves, il avait le droit de se donner à ceux qu'il chérissait et qui l'aimaient
On y lit la justice épaulée par les  notaires, la place du notaire dans le mariage au XVIIIème siècle.  on envoya chercher deux Notaires ; on fit un acte. 

On y lit un accord amiable. Ensemble, les notaires, le juge et les protagonistes trouvent une solution.
La présence du Magistrat rendit en quelque sorte, encore plus auguste, ce contrat dicté par la raison et par la vertu, et où le sentiment et la liberté naturelle l'emportèrent, comme cela devait être, sur les prétentions et les préjugés d'une Jurisprudence barbare que la religion, l'humanité et la politique ont du également abroger.
Une solution pour le bien d'un enfant à Poitiers en 1774.
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Il s'en est fallu il y a quelques jours qu'il ne soit élevé en cette ville un procès singulier, qui aurait pu être mis au rang des causes célèbres. un Seigneur obligé suivant les lois du royaume, de faire nourrir et élever un enfant inconnu, trouvé exposé sur ses terres, le fit recevoir à l'Hôtel Dieu de Poitiers en payant un prix convenu. Cet enfant y resta trois ans, au bout duquel temps le Seigneur pensa qu'il serait mieux alors dans une maison particulière pour y être instruit et mis dans le cas de prendre un jour une profession honnête. Le sort d'un batard intéresse toujours les bons coeurs ; c'est à la société à le venger de la dureté des parents qui l'ont abandonné. on proposa celui-ci à deux époux qui n'avaient point d'enfant ; ils l'acceptèrent moyennant une pension que promit le Seigneur, et qu'il a payée très exactement. Le motif saint et social de l'union conjugale est d'avoir des héritiers dans lesquels on espère de se voir revivre un jour. Ceux à qui la nature refuse cette satisfaction, désirent et semblent chercher du dédommagement. Ils accueillent le premier objet qu'ils croient digne de leur tendresse ; et cette illusion qui leur devient plus chère de jour en jour par l'habitude et le besoin d'aimer, les attache souvent autant que la réalité même.



 Ces bons époux chérirent bientôt cet enfant comme s'il fut né de leur union ; ils l'ont élevé pendant quatre ans avec les soins les plus tendres , cet enfant en grandissant a resserré par sa douceur et ses caresses un noeud si doux ; ils l'appelent leur fils ; il leur donne lui-même les titres que celui-ci suppose; Enfin c'est un joli enfant, digne jusques à présent de la bonne fortune que le sort parait lui promettre. Le Seigneur étant il y a quelques jours à Poitiers, voulut le voir ; sa physionomie l'intéressa au point qu'il déclara vouloir le reprendre, et prétendit qu'il avait le droit de le réclamer ; les parents adoptifs s'y opposèrent, dirent qu'il faisait leur plaisir, qu'il ferait leur bonheur et qu'ils feraient le sien, que son enfance leur appartenait, et qu'ils croyaient avoir le droit de le conserver, pour prix des soins qu'ils en avaient eu. Le Seigneur en tachant d'appuyer sa prétention sur les préjugés de la Jurisprudence Féodale, assura qu'il avait aussi pour lui les meilleures intentions. La contradiction se soutenant, on convint de s'en rapporter au jugement du Magistrat ; chacun plaida sa cause devant lui ; la présence de l'enfant y donnait le plus grand intérêt ; il semblait cependant que c'était à lui seul à prononcer, et que libre par la nature, chez une nation qui ne reconnait point d'esclaves, il avait le droit de se donner à ceux qu'il chérissait et qui l'aimaient.



La tendresse et la reconnaissance sont des impressions les plus profondes jusque dans les plus jeunes coeurs ; il n'y a point d'enfance pour la sensibilité ; l'enfant témoigna sa préférence par ses larmes et par ses cris ; il ne voulait pas sortir des bras des deux époux qui juraient eux-mêmes en pleurant qu'il ne le céderaient jamais. Il est plus aisé de sentir cette scène attendrissante que de la peindre. Le Seigneur lui-même finit par en être touché ; on envoya chercher deux Notaires ; on fit un acte ; le Seigneur abandonna sa réclamation ; l'enfant resta à ses bienfaiteurs, qui déclarèrent qu'ils le garderaient gratuitement, et promirent de lui faire embrasser une profession honnête et utile. La présence du Magistrat rendit en quelque sorte, encore plus auguste, ce contrat dicté par la raison et par la vertu, et où le sentiment et la liberté naturelle l'emportèrent, comme cela devait être, sur les prétentions et les préjugés d'une Jurisprudence barbare que la religion, l'humanité et la politique ont du également abroger.