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Le prix d’une orangeade.
Dans la famille Piorry, la postérité retiendra
Pierre-François qui mania avec zèle le bistouri du Dr Guillotin sous la
Terreur, puis Pierre-Adolphe né en 1794, inventeur du plessimètre et de
néologismes médicaux (toxémie, septicémie). Mais c’est à Georges, leur modeste
cousin, chirurgien et hédoniste, que s’offre aujourd’hui un instant de
notoriété.
L’été 1792, la fièvre ne gagna pas que les esprits et
l’on requit Piorry chez les Thoreau pour quelques domestiques alanguis. L’homme
s’arrêta en chemin déjeuner à Ligugé chez l’ami Jouslard. Repu, il fut
accueilli à 15H à Smarves, par Mme Thoreau et s’affaira d’un domestique à
l’autre. La chaleur expliquait la langueur des serviteurs. Ses consultations
terminées, notre chirurgien suant et las, accepta volontiers le verre de sirop
offert par son hôtesse. A peine le temps d’une première gorgée d’orangeade que
surgit dans le petit salon, l’époux Thoreau fulminant de colère ! De retour de
la chasse, bredouille et mal luné, armé d’un fusil double, le voilà qui couche
Piorry en joue! La maitresse de maison se jette au cou du jaloux, le supplie
tout en cherchant à s’emparer de son arme. « Ah malheureux, que veux-tu faire ?
Mr Piorry !!! Sauvez-vous, mon mari veut vous tuer !!! ».Trop tard ! Le coup
atteint le docte arrière-train et l’envoie sur le « carreau ». Thoreau chargea
de nouveau, Piorry, craignant l’estocade, reprit ses esprits et ses jambes à
son cou, quitta l’arène en clopinant et se réfugia chez Jouslard. Maury et
Bertault viendront le soir même de Poitiers opérer leur ami. Le fondement entre
deux chaises pendant plusieurs jours offrit à
Piorry le loisir de murir sa riposte. Il déposa sur le bureau du juge de
Paix : un habit d’étoffe, un gilet de coton, une culotte percés de trous de
plomb et une plainte pour tentative d’assassinat!
Thoreau, de son côté avait mal au front et vit rouge.
Persuadé de porter une belle paire des cornes, le chasseur jaloux et bredouille
renversa la situation, et au jeu du vaudeville, accusa Piorry d’avoir séduit
sinon violenté son épouse ! Il fit valoir ses droits d’outrage, mais nia le
crime. Sa dame avait maladroitement fait partir le coup en se réfugiant contre
lui.
Piorry eut beau plaider sa bonne foi, sa déontologie,
brandir les lettres convoquant son intervention, retracer son itinéraire auprès
des domestiques, justifier sa présence dans le petit salon par l’orangeade
offerte, et la fièvre qui le prit au corps par la seule météo caniculaire,
l’affaire se conclut au bénéfice du mari outragé. Georges Piorry, chirurgien
modeste, hédoniste et sans-culotte, débouté de sa plainte, mesura à ses dépens
la profondeur des risques du métier…
Source : ADV Série LSUPPL 421.
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