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Sages-femmes en colère, Châtellerault 1806 !
Châtellerault 1806. Depuis que la dame Dupuis est morte
en couches, on murmure dans la ville. La sage-femme appelée a fait des
manœuvres mal dirigées, forcément ! Et elle a montré bien peu de sagacité, nul
n’en doute ! Voyez comme elle est novice! Elle n’a pas appelé le chirurgien
! Elle ? C’est Mlle Dupain.
Au premier rang des attaques, trois sages-femmes : La
Verjus, la Fortin et la femme Larcher ! De bouche à oreille, relayée par les
uns, déformée par les autres, assourdissante, la rumeur enfle tandis que
grandit l’angoisse des femmes. A qui se
confier ? Seule et dos au mur, Mlle Dupain ne rend pas les armes et va se
plaindre au préfet : « Tout ça n’est qu’ignorance et jalousie ! Confrontez-moi
à mes consœurs ! »
Le 16 Octobre 1806, pour faire cesser « l’anarchie qui
règne dans une profession si délicate », est convoqué à l’hôtel de ville, le
jury médical, conseil de l’Ordre avant l’heure. A sa tête, Josle, médecin,
accompagné du sous préfet, du conseil
municipal, des officiers de santé, des chirurgiens, des médecins, et du
commissaire de police ! Autour d’eux, une foule de notables et la presse, car
déjà, au menu des petites affaires médicales, les gourmands ne manquaient pas
d’appétit !
On questionne la jeune sage-femme. Elle présente un CV
prestigieux. Diplôme de l’Ecole de Médecine de Paris, signé Jussieu ; certificat de Mme de la Chapelle, troisième prix de l’école d’accouchement,
visé par Baudeloque, médaille d’argent de l’école de la maternité. Elle
s’explique sur le drame et convainc les experts du jury : « Il n’était pas au
pouvoir de l’art de remédier à l’accident survenu ». Le jury rend justice à sa
compétence, à sa sagacité, rappelle les risques du métier… On lui reproche à
peine d’avoir trop longtemps différé l’appel du médecin. Questionnée sur ses
connaissances académiques, elle reste incollable.
On passe ensuite à l’interrogatoire des trois
accusatrices. 30 ans d’expérience, toutes élèves de Maury, elles furent en
Poitou, parmi les premières formées. Bien qu’on leur pardonne d’avoir oublié
les bases théoriques (elles placent les os du bassin dans la matrice), leur
incompétence face à leur jeune consœur reste flagrante. L’une se vante sans
vergogne de s’être enfuie face à un accouchement difficile ! Leur routine et
les « inepties proférées » leur donnent
tort.
1806, l’Empire s’attaque à la formation médicale anéantie
par la révolution. Dans ce contexte, Canolle, élève de Maury, tout en se
référant à la loi du 19 Ventôse de l’an XI, conclut la séance châtelleraudaise par une petite
leçon de déontologie, amenant à
s’interroger sur le pouvoir médical : si du talent nait la confiance publique,
que chacun se garde que l’un et l’autre ne flattent trop leur amour-propre !...
Source : Archives de la Vienne – Le Journal de la Vienne
Janvier 1807.
Illustration : Mme de la Chapelle BIU Santé Paris.
Repères : 1793 sème la terreur dans les académies et les
dissout. En 1794, sont fondées trois écoles de santé. Baudeloque nommé à Paris
fait pour la première fois de l'art des accouchements une discipline à part
entière. L'enseignement devient laique et en français ! Sous le consulat puis
l’empire, Cabanis et Chaptal contre-attaquent ! La loi du 19 Ventôse de l'an
XI, impose enfin la nécessité d'obtenir un diplôme pour exercer la médecine. On
établit à l'aide de jurys médicaux un contrôle des connaissances, afin
d’écarter les incompétents. Il faudra attendre 1892, pour que les officiers de
santé disparaissent.