vendredi 10 juin 2016

I - ID19, N7 et renvoi d'ascenceur. #challengeAZ



L'objet de mémoire est aussi celui que l'on n'a jamais possédé.
L'ID19 était la version simplifiée de la DS.
La DS, noire, forcément noire était la voiture de De Gaulle.
Mon père savait qu'il n'aurait jamais de DS, il n'osait rêver que d'une ID19.
Mais pour l'ouvrier presseur qu'il était, le travailleur payé aux pièces, l'homme aux mains calleuses, même l'idée d'une version simplifiée restait une utopie.
Heureusement son p'tit frère d'adoption (Tonton Tonio, le fils de Pépé Paco) avait pris l'ascenceur social. Poussé dedans par Papa et sa soeur, qui avaient payé de belles études à cet enfant intelligent, à ce frère d'exil. Antonio était devenu médecin, interne des hôpitaux de Paris, cardiologue. Avec ses premiers remplacements, il s'était offert une ID19. Une belle bagnole.
Je crois qu'on était en 69.
Ce n'est pas très important.
Ce qui est important c'est le renvoi d'ascenceur.
Tonton Tonio a prêté sa voiture, un mois entier, à son frère de coeur, Modesto.
ça c'était quelque chose !
Un mois entier en ID19 pour que Modesto se fasse plaisir !
Allez hop tous en carrosse, on part en vacances !
Un carrosse qui décolle au démarrage, et toute la famille Pino qui s'épate de cette suspension hydraulique unique. On aurait calé rien que pour redémarrer.
N'attachez pas vos ceintures, il n'y a pas de ceinture !
Direction Nationale 7 !
N7, Il faut la prendre qu'on aille à Rome à Sète, nous c'était pour aller à Fréjus !
Rendez-vous à Fréjus avec le Z.


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Finalement, en 69, Modesto était un peu fada de design automobile, comme le sera son petit-fils Félix né 20 ans plus tard. 

jeudi 9 juin 2016

H - Havane, naître, grandir, fumer. #challengeAZ



En 2003, assise à Genouillé, une sorcière singulière remonta quatre à quatre la branche des Godard, histoire d’épater son beau-père, fumeur de Havane de 80 printemps. Cigare aux lèvres, celui-ci se mit à parler. L’écouter, c’était grimper de branche en branche, dans l’arbre du temps, au plus loin de la mémoire orale familiale. Et quelle mémoire!  Deux guerres, des épidémies, les derniers loups du Sud Vienne, des cœurs simples, mais fiers, des bonheurs de vie humble, autour d’un feu, des mots à la veillée… Rien de mieux qu’un homme d’ici pour piquer de passion généalogique une bru venue d’ailleurs.
Source : Archives départementales de la Vienne

Les Godard de Genouillé, au plus loin des archives paroissiales, étaient journaliers à la Combe. Journaliers… De père en fils, sur plusieurs siècles. Une généalogie humble et belle de gens de peu, qui se marièrent au village, ou à une portée de charrette, revenant inexorablement au berceau de la Combe, au village des potiers.  Pas une petite cuiller en argent à mettre sous la dent du beau-père, pas un blason, pas une particule ! Chez les Godard de Genouillé on vécut pauvre et en sabots. Dans un tel arbre, le premier qui signe apporte à l’apprenti paléographe, une sacrée émotion. Il fallut attendre 1860, et le mariage de Jacques avec  Marie Pautrot, pour lire Godard en bas d’un acte !  La première main qui sut écrire fut celle de François, frère cadet du marié. « François Godard hongreur » et fier de l’être,  tel est son paraphe au bas des actes de sa fratrie. Joseph,  fils de Jacques, signe. Joseph-Pierre né en 1889, cultivateur, sait lire et écrire. Mobilisé le 1er Aout 1914, prisonnier la terrible journée du 22 Aout, c’est en Allemagne, qu’il apprendra la naissance de Louis, son premier fils né en novembre. Libéré en 1919, il termine la route à pied, se perd dans cette campagne qu’il ne reconnait plus et arrive à Genouillé épuisé.  La famille s’installe alors à St-Macoux où nait René, notre fumeur de Havane.
2014 Collection familiale.

Naitre, grandir et saisir sa chance. Enfant de la république doué, à l’intelligence vive, voyez René, grimper quatre à quatre les barreaux de l’échelle sociale ! Notre fumeur de Havanes, quitte le sud Vienne, devient clerc de notaire à Chauvigny chez Me Toulat, puis notaire à Paris.  Naitre, grandir, devenir un homme et garder tout au long de sa vie l’amour de la langue française et le respect pour les plus humbles dont on est issu. Devenir père et porter haut ses enfants. Devenir  grand-père, arrière-grand-père et se laisser porter par la diversité d’une ribambelle joyeuse et aimante.  
Naitre, grandir et finir patriarche. Présider la table des cousinades et conserver intacte la mémoire des anciens,  l’émotion des chagrins, garder au cœur les disparus, s’émouvoir des naissances, porter un regard attentif sur chacun et accompagner les plus fragiles.
De journalier en notaire, de Genouillé à Monthoiron, le 6 mars 2015, en perdant une de ses plus belles branches, l’arbre de la Godardière a gagné une racine d’une singulière force.



René Henri GODARD (1923/2015)

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Je suis la gardienne des actes notariés familiaux anciens. Un an plus tard, j'ouvre une chemise cartonnée et l'odeur du Havane m'entoure, j'inspire, je retiens mon souffle, je ferme les yeux. 
 Papi Cigare is back. 
Tabagisme passif consenti. 

mercredi 8 juin 2016

G - La Gamelle ou dégringoler de l'échelle sociale. #challengeAZ

Tout le monde n'a pas eu la chance d'avoir des grand-parents républicains espagnols. Moi si. J'ai même eu deux grand-pères, autour d'une femme extraordinaire : José Pino, héros de guerre que je n'ai pas connu hélas, et Pépé Paco, le second mari de Mémé. Leur histoire est une histoire de dingue, comme toutes les histoires d'apatrides.
Mais revenons à la gamelle.
Après l'exil et le séjour dans le camp d'Argelès, les Républicains espagnols ont fait ce qu'ils ont pu. Ils ont dégringolé à toute allure l'échelle sociale, une vraie gamelle pour certains. On les a séparés, on a placé les enfants dans des familles françaises avec une option d'adoption. Comme ils insistaient, on les a laissé se retrouver. On les a placés métayers à la ferme, puis maçons. Ils ont remonté leurs manches, ils se sont entraidés, ils ont tenu leurs enfants, à bout de bras, pour les porter haut vers un avenir meilleur. Ils ont "bouffé le pain des français" comme on leur a dit, mais ils ont réussi en une génération, un intégration aux p'tits oignons. Comme quoi l'utopie mène à tout, il suffit d'en sortir. Avec ce pain là et la laïque, ils ont fait des médécins, des acteurs, des députés, des ministres, des écrivains, des amoureux de poésie, des chanteurs, des fadas de villages, des archivistes et même un maire de Paris.
Mais revenons à la gamelle.
Après avoir été métayer dans le Loir et Cher, Pépé Paco est devenu maçon à Pontault-Combault. J'aimais bien le regarder partir au boulot le matin. Mémé lui cuisinait une grosse tortilla qu'il mangeait dans du pain en buvant un grand verre de rouge, qui tache, du Préfontaines. Pas de café, du rouge. Ensuite Mémé préparait sa gamelle en me parlant fragnol : du ragoût et des patatas. De temps en temps ça changeait, il avait des patatas et du ragoût. J'avais 4 ans, je ne sais pas ce que j'aurais donné pour avoir moi aussi une tortilla le matin, un verre de rouge, une gamelle, avec du ragout de mémé, une mobylette et un repas dévoré sur le pouce avec los amigos de chantier autour d'un fuego, des potes entonnant en se marrant, la chanson del campo d'Argelès.
Mais revenons à la gamelle.
J'ai grandi, je ne parle pas espagnol, c'était interdit de parler espagnol à la maison, ma grand-mère parlait fragnol et je répondais en français. Pero entiendo todo, je trouve même les fautes de grammaire de mes enfants apprentis. Un jour, j'ai super bien gagné ma vie, alors je me suis acheté une gamelle, celle de la photo, mais c'était trop tard, Mémé n'était plus là pour faire le ragout. No pasaran.


mardi 7 juin 2016

F- Un Fauteuil, une absence. #challengeAZ


Depuis un peu plus d'un an déjà, Alain tient ce fauteuil de son père René, qui le tenait de son père Joseph Pierre, qui le tenait allez savoir de qui.
René y restait des heures à lire à son bureau.
Y rester des heures assis à lire, ça n'a pas du arriver souvent à Joseph Pierre, l'agriculteur.
Y rester assise à penser, aux Godard de Genouillé, ça m'arrive de temps en temps.

lundi 6 juin 2016

E - Ecriture objets de mémoire - #challengeAZ


Plume, porte-plume, encre.
L'odeur de l'encre, quand la maitresse passait remplir les encriers.
Plume, porte-plume, encre,
Le bruit de lettres qui griffent le mauvais papier,
Plume, porte-plume, encre,
Le plaisir d'une page sans rature,
Plume, porte-plume, encre,
Le désespoir d'un paté malvenu.
Arabesques prometteuses,
La première lettre,
Le premier auto-portrait,
La première note à l'encre rouge,
La première dictée sans faute,
La première dissert' de  philo,
Le premier mot d'amour...
Vivre et l'écrire.