Il y a 35 ans dans la terre rapportée dans une petite cour
privative devant un modeste logement route de Ligugé à Naintré St-Benoît à la
porte de Poitiers fut découvert un pendentif bien étrange. Sur une des faces de
l’objet de forme oblongue il y a en creux le dessin d’un oiseau à tête humaine
avec une curieuse « coiffure de pirate » et une singulière queue,
avec en bordure un texte illisible. Ses dimensions sont de 4 cm dans la
longueur contre 2 cm et demi dans la largeur. Il s’avère que c’est la matrice
d’un sceau, au vu des motifs et des lettres on peut le dater de la fin du 12ème
siècle du début du 13ème siècle. La forme en amende est le signe
distinctif des sceaux des femmes et des religieux. La gravure représente-t-elle
une sirène des anciens grecs ? Est-ce un Tétramorphe symbolisant les quatre
éléments dans l’antiquité, ou les quatre Evangélistes de la Chrétienté ?
L’objet se portait passé autour du cou, attaché par un lacet. Dans la pointe au
niveau de l’attache proprement dite du pendentif on distingue nettement une
croix pattée.
L’impression dans la cire permet de lire le texte suivant
S’.W’DE.CALVIGN’CAN’ST’PETRI.PVLL’ . Il s’agit d’un texte en latin avec des
abréviations, S pour Sigillum (sceau), W pour Wilhemus (Guillaume), CALVIGN
pour Calvignaco (Chauvigny), CAN pour Canonicus (chanoine), ST pour Sancti
(Saint), PETRI (Pierre), PVLL (PULL) pour Puellier, texte que l’on peut
transcrire en « sceau de Guillaume de Chauvigny chanoine de
St-Pierre-le-Puellier ». On retrouve dans le « Recueil des sceaux du
moyen âge, dits sceaux gothiques », auteur le Marquis de Migieu, la
description d’un sceau du 13ème siècle, un sphinx ayant une tête
humaine avec un capuchon le corps et les pattes d’un oiseau et la queue d’un
dragon, avec l’inscription S. JOHIS ANGELI JOHIS NICOLAI, cette description
ressemble trait pour trait à la figure gravée sur la matrice du sceau. Sur le
dessin proprement dit on retrouve la forme en amende et la croix pattée. Le
Sphinx est un Tétramorphe et le symbole des quatre apôtres Marc Luc Jean et
Matthieu.
On ne trouve nulle part ailleurs trace d’un Guillaume de
Chauvigny chanoine de St-Pierre-le-Puellier. Comme la famille De Chauvigny
n’existe pas, il serait tentant de l’assimiler à Guillaume De Montléon fils de
Oger de Montléon et de Agnès ses père et mère, dont le frère Guy De Montléon a
vendu en 1295 à l’évêque de Poitiers le fief de Chauvigny et la tour d’Oger.
Mais la matrice du sceau doit datée autour de 1200 et les religieux de l’époque
avaient pour patronyme un prénom accolé à leur lieu d’origine, ainsi si un
Thomas religieux était originaire de la ville de Cordes en Albigeois, il se
nommerait Thomas de Cordes (Corda Codra ou une écriture voisine en latin). Il
est plus raisonnable de penser que « de Chauvigny » correspond à la
ville d’origine du chanoine, ce Guillaume dont le sceau nous est parvenu devait
être un clerc venant de Chauvigny et devenu chanoine du chapitre de St-Pierre-le-Puellier.
La collégiale de St-Pierre-le Puellier était influente et
riche, hélas l’église du même vocable a disparu, heureusement il existe à
Poitiers une rue à son nom permettant de la situer. Par Google View on peut
voir dans le haut de cette voie un élargissement de la chaussée un peu avant le
raccordement avec la rue St-Vincent-de-Paul, en aval de cet élargissement il y
a une maison avec une fresque représentant des personnes montant un escalier
extérieur, on doit être à l’emplacement de l’église ou juste à côté, en amont
du même élargissement quelques mètres plus haut au niveau du petit passage sous
porche devait se trouver l’église de Notre-Dame-la-petite.
En conclusion, un simple objet, pouvant être pris pour un
jouet d’enfant, trouvé dans la terre par une personne les yeux fixés sur le
bout de ses chaussures plutôt que regardant fièrement devant elle, peut se
révéler être une porte ouverte sur notre passé, sur le Moyen Age, sur un
personnage inconnu par ailleurs.
(Chauvigny St-Pierre-le-Puellier)
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